Des Inconnues

Cours de français du Community College de Nanzan Tandai par Jean-François Masseron.

Semestre d'automne 2006 (septembre - décembre).

南山短期大学コミュニティカレッジ・上級フランス語講座・2006年の秋学期

01 décembre 2006

Lieux clairs



Ainsi les réunions du groupe d'amis de Michel Kérourédan ont lieu chez Geneviève Peraud, "près de la station Convention", "au début de la rue Dombasle".
Plus précisément : aux numéros 5 et 7.
"Un immeuble clair, étroit, en léger renfoncement, séparé de la rue par une grille et une petite cour." (Ci-contre).

Mireille Maximoff habitait "au bout" de la rue Vineuse. Je ne sais pas si c'est un hasard, mais la rue Dombasle s'appelait autrefois "rue des Vignes"... (Sur la rue Dombasle, ici)

C'est un immeuble clair. Geneviève Péraud, elle, "parlait d'une voix claire, avec un léger accent parisien". Le Docteur Bode, l'héroïne l'image avec des yeux clairs : "À mon avis, c'était un homme au regard clair, dont les mains vous caressaient et apaisaient votre angoisse." Et, effectivement, quand elle voit sa photo au dos de son livre, il a les yeux clairs : " Il m'a tendu un livre cartonné sur la jaquette noire duquel j'ai lu: V. Bode, ln Search of Light and Shadow. Au dos, la photo d'un homme d'une quarantaine d'années, un brun au regard clair, tel que je l'avais imaginé".

L'appartement de la rue Vineuse était "un appartement aux murs clairs". Sans meubles.

Quand l'héroïne 1 quitte Lyon, elle imagine un avenir heureux, et ce bonheur est marqué par la clarté. "Au moment de quitter Lyon, je n'avais pas eu une seule pensée pour mes parents. (...) Un jour, tout deviendrait clair et solide dans ma vie, et je serais heureuse de les retrouver."

On retrouve dans un passage de La petite Bijou beaucoup des éléments de cette nouvelle. Il s'agit du premier rendez-vous de l'héroïne avec Moreau-Badmaev. Je les note en italiques :
Il s'est penché vers moi et il a baissé la voix : « Pourquoi ? Vous n'avez pas le moral ? »
Je n'ai pas été choquée par la question. Je le connaissais à peine, mais, avec lui, je me sentais en confiance.
« Qu'est-ce que vous recherchez exactement dans la vie ? »
Il semblait s'excuser de cette question vague et solennelle. Il me fixait de ses yeux clairs et je remarquai que leur couleur était d'un bleu presque gris. Il avait aussi de très belles mains. « Ce que je recherche dans la vie... » Je prenais mon élan, il fallait vraiment que je réponde quelque chose. Un type comme lui, qui parlait vingt langues, n'aurait pas compris que je ne réponde rien.
« Je recherche... des contacts humains... »
Il n'avait pas l'air déçu de ma réponse. De nouveau, ce regard clair qui m'enveloppait et me faisait baisser les yeux. Et les belles mains, à plat sur la table, dont j'imaginais les doigts longs et fins courant sur les touches d'un piano. J'étais si sensible aux regards et aux mains... (page 35)
Michel Kérourédan est heureux que l'héroïne 3 n'ait "pas d'états d'âme". Cette réponse aurait plus au Docteur Bode. Pourtant, elle a lui dit cela pour se débarrasser d'une question à laquelle elle ne pouvait pas ni ne voulait répondre. Moreau-Badmaev dit à la petite Bijou : « Il y a un mot que vous avez employé tout à l'heure et qui m'a frappé... le mot "fixe"... » Ce mot, pourtant, elle l'avait employé sans y faire attention.

Généralement, dans les textes de Modiano que nous avons étudiés, des indices nous font savoir que l'héroïne, qui raconte son histoire plusieurs années après les événements traumatiques qui la constituent, s'en est finalement sortie. Ici, l'apaisement commence dans le récit même.

*
Chien, enfant, chaussure

Michel Kérourédan a une "façon particulière de porter sa grosse serviette marron sans poignée, comme si c'était un chien ou un enfant".
L'assimilation du chien à l'enfant était déjà dans La petite Bijou, dans un contexte tragique. La mère avait perdu le chien dans le Bois de Boulogne. L'enfant comprend cet abandon comme le signe avant-coureur de son propre abandon : "La peur ne m'a plus quittée. Je me disais qu'après le chien viendrait mon tour" (p. 128).
Dans Accident nocturne, la chaussure du narrateur, accidenté une nuit place de la Concorde, reste sur la chaussée, et il pense à elle comme à un chien écrasé.