Des Inconnues

Cours de français du Community College de Nanzan Tandai par Jean-François Masseron.

Semestre d'automne 2006 (septembre - décembre).

南山短期大学コミュニティカレッジ・上級フランス語講座・2006年の秋学期

17 novembre 2006

Désormais...

La partie que nous étudierons le 18 novembre commence par désormais.
Désormais marque une rupture entre un avant et un après.

L'avant nous l'avons vu la semaine dernière. L'après c'est d'abord un changement d'habitude de l'héroïne : elle va au café de la Place d'Alleray à partir de 11 heures du matin. En plus des petits événements rassurants qui ponctuent familièrement les après-midi (le bruit du billard électrique de deux heures à deux heures et demie, l'homme brun à blouse blanche de la clinique voisine, le chien qui s'allonge sur le trottoir vers trois heures, les deux hommes en camionnette qui boivent un verre au comptoir, Whiter Shade of Pale au juke-box, le plus jeune qui lui fait un signe de tête avec un sourire, le chien qui rentre dans le café puis plus personne jusqu'à la fin de l'après-midi) apparaissent un professeur de philosophie qui corrige ses copies et des employés bruyants d'une entreprise voisine que la patron appelle "la Compagnie du téléphone".

On apprend, au passage, que si l'héroïne n'est pas "sauvage", elle n'en est pas pour cela grégaire:
Moi, chez Barker's, je ne me souvenais pas d'une seule occasion où j'avais pris un repas avec mes collègues. Je ne m'étais liée qu'avec la fille blonde qui tenait le rayon voisin du mien. Parfois, je l'accompagnais à une séance de cinéma.
On apprend également qu'elle est allée au Lycée Hélène-Boucher (vers la Porte de Vincennes, donc à l'autre bout de Paris) et ensuite à l'école Pigier où elle a appris la sténo et la dactylo. Jusqu'à maintenant elle a mené une vie aux plaisirs simples, sans jamais se poser la question du sens de la vie. Ses plaisirs, entre autres : le grand-huit parce qu'elle aimait avoir le vertige. Elle a toujours eu un faible pour les chiens et les chevaux.

Rapidement le professeur de philosophie (on apprendra son nom plus tard : Michel Kérourédan) va devenir un personnage important de la nouvelle.
(Le nom Kérouredan existe, il n'a pas été inventé par Modiano, d'après un site internet il y a 308 Français qui portent ce patronyme. Il semble, d'après la répartition des Kéréroudan que ce soit un nom d'origine bretonne, La finale en -an et l'abondance des noms à consonance étrangère chez Modiano m'avaient fait penser (et peut-être dire en cours) que c'était un nom arménien.Un mensonge (elle cherche du travail) la conduit à entrer dans le cercle des disciples du Docteur Bode.

Sur le Docteur Bode (personnage imaginaire), ainsi que sur un personnage semblable, le Docteur Bouvière (dans Accident Noctune), le Dictionnaire Modiano nous apprend que le modèle a été Gurdjieff :

GURDJIEFF Georg Ivanovitch
Jérôme Garcin – Dans «Des inconnues» (1999), il y avait un certain docteur Bode dont vous écriviez que «la vérité et la sagesse sortaient de (sa) bouche». Ses disciples formaient une sorte de secte philosophique où il était question de «travail sur soi» et de «clé d’octave». Le docteur Bouvière, p. 34, ressemble au docteur Bode..

Patrick Modiano - Pour les deux, j’ai pensé à Gurdjieff. Autour de ses livres, de sa pensée, remis au goût du jour par le New Age, gravitaient dans les années 1960 des gens vraiment bizarres qui prétendaient détenir la vérité. C’est l’époque où j’étais en pension en Haute-Savoie. On m’avait raconté que, dans la montagne et les sanatoriums de Praz-sur-Arly, s’étaient retrouvés autrefois des écrivains vulnérables comme Jacques Daumal et Luc Dietrich, qui étaient très influencés par la spiritualité et l’ésotérisme selon Gurdjieff. J’étais frappé par le fait que ses disciples étaient souvent recrutés chez des intellectuels qui se trouvaient dans un état physique désespéré. Après la guerre, de gens comme Louis Pauwels et Jean-François Revel se sont encore réclamés de cet homme, dont il ne faut pas oublier qu’il est tout de même responsable de la mort, en 1923, de Katherine Mansfield.
Jérôme Garcin, Rencontre avec P Modiano, Le Nouvel Observateur, 2 octobre 2003
Dans la brochure (Le rappel de soi) que Kérourédan donne à l'héroïne se trouve une photo : Kérourédan et un membre de son groupe, Gianni. Cette photo trouvée lui rappelle la photo perdue d'elle et de René. Elle a remarqué que dans ce livre, ne figuraient ni le mot bonheur, ni le mot amour.